Raphael Soria : Une rencontre inattendue
Souvenirs de Sidi-bel-Abbes
C’est, à Détrie, dans ce canal, que je connus l’une de mes plus grandes et plus subites frayeurs d’enfant.
Un jour, sans que je m’y attendisse, je fis une rencontre encore plus inattendue et plus détestable que celle dont on me menaçait sans cesse.
Une bestiole molle, toute ronde, vint heurter inopinément ma jambe. Je pensai immédiatement à quelque grenouille vagabonde nageant loin de son clan ou, pire, à quelque rat noyé.
Je voulus repousser cette chose. Et je vis, terrifié, barboter contre mon mollet un petit animal monstrueux sorti d’un cauchemar. Il avait approximativement la taille d’un crapaud, mais il était plus horrible, plus répugnant encore que le très abhorré batracien à la peau visqueuse et venimeuse que nous redoutions tant. Entraîné par le courant, il faisait des efforts désespérés pour sortir de l’eau. Mais, avec ses petites pattes ridicules, il avait du mal à nager.
C’était une sorte de dragon miniature, difforme, aux flancs aplatis, à la tête hideuse,
aux yeux proéminents et extrêmement mobiles, à la langue interminable, préhensile et gluante comme du papier tue-mouches. Il avait la peau grenue d’une salamandre. Pour ajouter à l’effroi que suscitait cet affreux tableau, il agitait sporadiquement une très longue queue qui, enroulée en spirale, tire-bouchonnait à l’extrémité de son corps contrefait. Enfin, comble de l’horreur, ce monstre, sous mes yeux médusés, changeait, oui, changeait de couleur !
Je le sortis promptement de l’eau avec un bout de roseau et le rejetai avec frayeur dans les joncs. Et là, de colère sans doute, l’horrible bestiole, fait incroyable, se mit de nouveau à changer de couleur et se fondit peu à peu aux feuilles dans lesquelles je l’avais lancé, et auxquelles il finit, immobile, par complètement se confondre.
Je venais, môme trouillard, paralysé de peur et d’aversion, de faire brusquement connaissance, sans qu’on nous présentât l’un à l’autre ni sans que je pusse savoir lequel de nous deux était le plus effrayé, avec le plus laid mais le plus inoffensif des caméléons...
Raphael Soria né en 1936 à Sidi-Bel-Abbès habitait la rue des Bains, à l'angle de l'avenue Loubet. Après sa scolarité primaire à l'école Marceau, il fréquenta le collège moderne d'octobre 1948 à juin 1954 et le lycée Laperrine jusqu'en juin 1955. Il fut maître d'internat et d'externat au Collège Leclerc de 1955 à 1957.
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